myel ~anachronism

version 8

1999

Quatre-vingt dix-neuf

Les émotions sont floues. Profondes et lointaines, comme ces racines italiennes, secouées, par la mémoire de ses yeux récemment fermés. 

1999

Nous le disions d’un ton léger, comme un cliché. Le sentiment d’éternité qu’elle incarnait. Nous disions : “Elle n’a pas changé, elle a toujours ce visage, cette coiffure, ces robes, ce regard.” Tout était fidèle à chaque fois, à chaque trop rare visite le temps de vacances, sur chaque photo partagée. C’était un message rassurant, un repère, un pilier, elle nous était immuable. Elle ne pouvait pas disparaître, pourtant. La preuve que l’éternel n’existe pas nous est tombée dessus en même temps de novembre. Et ça chamboule mes croyances enfantines.

Je ne suis pas adulte dans sa maison à étages, à l’orée du village, perché dans ces montagnes au coeur de l’Italie. Je barbote dans la piscine gonflable sur la terrasse, je cueille des pois dans le jardin en pente raide qu’elle bêchait encore passés quatre-vingt ans, je monte à “la croix” dominant la vallée le vertige au ventre, je lis La ligne verte ou L’âge blessé. Tant d’images se bousculent. L’odeur de sauce tomate mijotant déjà au réveil, les pâtes fraîches coupées à la main, cuites au chaudron, les “patates italiennes” recette introuvable à base de parmesan, les mûres cueillies à même l’arbre, et l’eau fraîche à la source, le saucisson des Abruzzes et les scamorze à la table du soir. Les sorties à la mer, la rivière, le théâtre romain, les rues qui penchent tellement, le café du village, les promenades nocturnes, les chiens errants qu’on adoptait pour le temps des vacances. Et la chaleur de Rome, le choc de Pompéi. La langue hybride parlée dans la maison, pour se comprendre un peu. Les aventures entre soeurs, cousins, cousines, maman, oncles, tantes, grands-père, et sous la bienveillance de la génération qui nous précédait tous.

Je ne suis pas adulte là-bas car ma dernière visite aura bientôt dix ans. Déjà. Nous comptions sur l’année prochaine pour célébrer le centenaire et ce sera mon seul regret : compter sur l’avenir.

Je repense à la route qui symbolise ce lien, aux 1500 kilomètres dévalés en voiture, les départs avant l’aube, les frontières traversées, la Suisse et ses montagnes, le tunnel gigantesque menant à l’Italie. Longer la côte, dormir à Rimini, tremper ses pieds dans une mer pleine de crabes, tourner vers les montagnes, se rafraîchir à la fontaine précédant le village. Je repense à la route qui remonte vers la France, avalée le plus vite possible.

Je pense à l’histoire de cette route, à l’histoire de chacun, au déracinement, à ces vies qui resteront mystérieuses.

Je pense à ceux qui sont sur le retour, qui ont fait le voyage de cet adieu. L’éternité brisée rend chaque vivant bien plus fragile, bien plus précieux. Aucune magie ne protège ceux qu’on aime ? Aimons les maintenant.

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2 Comments

  1. Très joli post emprunt de mélancolie…
    L’automne emporte plus que des feuilles rougeoyantes, mais les souvenirs restent…

    Eternità è quella del cuore, e quello che hai nel sangue partecipa nella storia, la tua storia… È importante da ricordare.

    • Oui les souvenirs, les images, les pensées resteront…
      (Je n’avouerai pas que l’italien reste une langue obscure à mes yeux… )